samedi 30 juillet 2011

De 1987 à 1989 le groupe Siglo XX donna à la musique Dark wave trois albums marquants dont deux chefs-d’œuvre, d’une beauté rare et radicale. A réécouter de toute urgence.



Avide de musiques ténébreuses et puissantes dès la fin des années 80, j'ai toujours gardé une oreille alerte et bienveillante sur les formations qui s’évertuaient à prendre le chemin difficile et transcendant de la mouvance darkwave et coldwave. Un de ces groupes, Siglo XX, me marqua plus que les autres. Je le découvris sans peine au cœur de l’obscur catalogue d’une petite maison de disque underground de Bruxelles que je suivais régulièrement, nommée A play it again sam, qui diffusait notamment les albums percutants du groupe industrielo-darkwave The Cassandra complex.

Les informations concernant la formation étaient plus qu’ardues à trouver tant le groupe jouait sur le mystère et l’anonymat. Juste le mystérieux Haydee était crédité comme étant l’auteur des chansons. Je sus bien des années plus tard, notamment grâce à Internet, que Siglo XX (vingtième siècle en espagnol) était en fait un quatuor belge flamand composé de Erik Dries (chant et claviers), Dirk Chauvaux (basse), Antonio Palermo (guitare), et de Klaas Hoogerwaard (batterie), tous originaires d’une ancienne région minière sinistrée par le chômage, un peu comme Joy division avec Manchester, ce groupe coldwave parti de rien et finalement devenu mythique, à l'évidence l'une de leurs premières influences marquantes.


FLOWERS FOR THE REBELS (1987)
Flowers for the rebels (1987) fut ma première découverte du groupe et m’impressionna par la qualité austère de ses chansons, par sa production parfaite et l’ampleur de sa dynamique sonore. À l’image de Fear, terrible chanson sépulcrale aux synthés glaciaux perpétuellement « balafrée » par la guitare surdimensionnée d’Antonio Palermo façon Killing joke. Un titre que n’aurait pas renié Alan Véga dans le premier opus de Suicide. A cette époque les membres de Siglo XX semblaient enfin avoir trouvé le son idéal pour leurs enregistrements, et une identité plus personnelle malgré leur influence principale. Les progrès entre leurs précédents titres et ceux de Flowers for the rebels étaient flagrants et sautaient littéralement aux oreilles, c’était le début d’un âge d’or créatif qui commençait là pour le groupe avec ce premier chef-d'œuvre. On est frappé encore aujourd'hui en réécoutant des morceaux aussi étranges que Sister in the rain, Till the act is done ou encore No one is innocent qui semblent se complaire dans leur cheminement juste au bord du précipice : le chant de Erik Dries y tient plus de l’éructation contrôlée et dévitalisée que de l’harmonie destinée à séduire l’auditeur. Mais juste après cette sorte de vomissement de l’âme survient le repos du guerrier : une jolie mélodie d’une minute et vingt-quatre secondes, Afraid to tell, qui vient tel un baume bienfaisant sur une blessure infectée par No one is innocent, avant de laisser place à l'entraînant Sister suicide. Puis, à l’erratique Till the act is done s'oppose une sorte de mantra aérien gothico-psychédélique, Shadows, rythmé par le son évocateur des tabla hindous, avant l’apothéose de l'obsédant Flesh and blood et du rockabilly hardcore Ride qui vient conclure la deuxième face d’une explosive manière. Il était néanmoins possible d'aller plus loin encore dans ce voyage intriguant en se procurant le maxi 45 tours Till the end of the night sorti dans le sillage de cet album, qui proposait outre le titre éponyme en face A, deux autres morceaux sur la face B, les revêches Dead man's cave et The beginning, explorant une ambiance plus dure encore et plutôt jusqu’au-boutiste dans sa radicalité polaire. On les retrouvera en bonus dans l'édition CD de Flowers for the rebels.

LE GLAÇANT SISTER IN THE RAIN


LE GLACIAL FEAR




FEAR AND DESIRE (1988)
De ces petits frères flamands de Joy division je découvris ensuite Fear and desire, deuxième chef-d’œuvre définitif datant de 1988 et dont la version CD n’est apparemment plus disponible qu’en format MP3. La pochette donnait le ton du disque : une peinture sublime de style expressionniste, flamboyante et torturée représentant un homme semblant se consumer de l’intérieur, à l'image de la musique gravée sur le vinyle. Huit titres composaient le 33 tours, plus deux inédits disponibles en maxi 45 tours (et ajoutés là aussi en bonus sur l'édition CD), aussi puissants que les précédents : View of the weird et Silent crowd, aux climats sonores vraiment très travaillés. L’album se terminait en apothéose avec deux chansons parmi les plus belles et frigorifiques de toute l’histoire de la musique : la contemplative My sister called silence, et l’hypnotique prière païenne The pain came de 7mn12 toute en crescendo. La splendeur délétère de cette musique glaciale aux chants d’outre-tombe ne pouvait que frapper durablement n’importe quel auditeur de bonne foi, même si le chant d’Erik Dries volontairement inhospitalier pouvait parfois heurter. Une musique incandescente, aux climats raides, épurés, ayant un beau cousinage avec l'intraitable minimalisme de certaines musiques traditionnelles japonaises ou hindoues, ce genre de rigueur-là (écouter la lancinante marche implacable de la basse électrique et de la batterie dans le diamant noir Everything is on fire ou encore 35 poems qui ouvrait la face B, chocs esthétiques à peine atténués par l'universel Sorrow and pain).

LE DIAMANT NOIR EVERYTHING IS ON FIRE


L’HYPNOTIQUE ET MAGNIFIQUE THE PAIN CAME

LA BEAUTÉ TOUTE SIMPLE DE MY SISTER CALLED SILENCE


UNDER A PURPLE SKY (1989)
La carrière de Siglo XX se termina avec l’opus Under a purple sky en 1989, moins rigoureux et intense que les deux précédents (malgré une production toujours irréprochable) mais peut-être plus accessible au grand public. Avec un son imposant toujours aussi caractéristique et d’indéniables réussites telles que I send you my tears, When will it be me, City in dust, Waiting for a friend ou encore le titre phare Baby divine qui bénéficia même d’un clip plutôt bien réalisé (voir la vidéo ci-dessous).

Je ne connais pas la cause de la cessation d’activité du groupe. Peut-être une fatigue psychologique due notamment au manque de reconnaissance public et critique, ce genre d’injustices en ayant déjà fait renoncer plus d’un. A ma connaissance la presse musicale française a en effet peu parlé de Siglo XX à l'époque, et encore moins les nombreuses encyclopédies musicales qui depuis fleurissent régulièrement dans les librairies. Ce qui après tout, avec le recul, serait plutôt un gage supplémentaire de qualité à mettre au crédit de Siglo XX.


LE CLIP BABY DIVINE, TITRE PHARE DU DERNIER ALBUM



15 commentaires:

Anonyme a dit…

Trés bel article sur siglo xx , qui reste le groupe le plus inventif de la cold wave avec joy division.
Je ne me lasse pas de les écouter et me remémore ce concert d'anthologie en Lorraine .

Christian Larcheron a dit…

Bonjour et merci pour le compliment. Vous avez bien de la chance d’avoir vu Siglo XX en live, je vous envie fortement. Je me suis toujours demandé ce que le groupe valait sur scène… N’hésitez pas à revenir ici afin de nous faire partager vos souvenirs et sensations concernant ce concert en Lorraine, votre témoignage enrichirait sans aucun doute ma chronique. Et on n’est jamais trop pour rendre hommage à ce groupe et le faire connaitre aux générations actuelles ainsi qu’à ceux qui n’en ont jamais entendu parler…

Rockin a dit…

hello Christian, tu le sais ce n'est pas vraiment mon genre de musique mais force est de reconnaitre la qualité des extraits proposés, étonnant! tu vois je ne regarde pas que les Venus...JL

Christian Larcheron a dit…

Salut Jean Louis, sympa de passer par ici. Merci de ce petit soutien, d'autant qu'en ce moment je n'ai pas trop le moral (je regarde trop le journal télévisé...) Je manque un peu de motivation. J'aime beaucoup mon blog et son esthétisme mais parfois je me dis "A quoi bon écrire ?"...

Musicalement, je sais que tu aimes avant tout le blues, mais la preuve qu'on peut toujours se retrouver autour du rock, quel que soit son genre ou son style.

Avant de consulter mes messages ici je suis passé par le forum d'Amazon pour y jeter un oeil. Bah ça ne s'arrange pas la-bas : ils passent leur temps à s'agresser, et devine qui est en tête de ligne ? L'hystérique DS, toujours aussi tarée, insultante et agressive ! Et elle se fait une fois de plus remonter les bretelles par plusieurs personnes (comme nous l'avions fait, jadis, par mesure d’hygiène publique). Elle est toujours aussi bête et inculte, vas-y voir ! Décidément, la-bas, c'est plus que jamais un gros asile d'aliénés ! Content d'être ici ! A +.

Rockin a dit…

salut! je n'ai meme pas la force d'aller voir ce dont tu parles sur amazon, ça me navre trop , et puis ça me semble loin tout ça.." à quoi bon ecrire", tu sais on se pose tous la question...mes réponses: pour se faire plaisir, laisser une trace meme petite sur le oueb, esperer faire découvrir ce qu'on aime à quelques lecteurs...bien ton truc sur Baudelaire, j'aime bien les photos, pas vulgaires du tout, joli; allez à+ , garde la foi...JL

Christian Larcheron a dit…

Merci pour tes encouragements et ton passage sympathique. Pour Baudelaire, je pense que tu parles du dernier "Antre de Vénus" en date, celui avec les photos des maisons closes des années 30. C'est vrai que pour cette rubrique de l'Antre, le plus dur consiste à ne pas tomber dans la vulgarité concernant le choix des photos érotiques. La frontière entre le bon goût et le mauvais goût est parfois ténue.

Pour le reste je vais essayer de garder la foi, comme tu dis.

A+.

Anonyme a dit…

Bonjour, je découvre votre blog.Il est rare en effet de voir des papiers webiens sur Siglo XX.
Ils ont eu un certain succès en France à la fin des années 80 dans le milieu qui ne s'appelait déjà plus Cold mais Goth (et qui s'appelait quelques années plus tôt "batcave") alors que comme d'autres groupes estanpillés à l'identique (The Chameleons par exemple) ils étaient en jeans et T shirt sur scène, à la limite une veste noire pour le chanteur je crois à L'Elysée Montmartre en 88.Ils y étaient tête d'affiche, Die Form et Psyche (aucun souvenir de leurs prestations) les précédaient.
Son énorme pour Siglo, ça je m'en souviens et de qualité (ce qui n'était pas toujours le cas à l'époque)et ils jouaient bien.
Revus en 89 au New Morning (première partie Asylum Party,mais moins de souvenirs de ce concert)
ils ont fait quelques Ep et maxis avant les 3 albums cités sur le label Antler (rédites en CD en deux volumes)
Un autre groupe belge (duo que je n'ai jamais vu sur scène) de l'époque du même label Antler, vaut que vous lui prétiez une oreille si vous trouvez les ep et premier lp: Sigmund und Sein Freund ( le dernier paru en CD est inintéressant)
Bonne continuation pour votre blog

Christian Larcheron a dit…

Merci pour votre passage et vos compliments/encouragements. Aussi pour les précisions que vous apportez sur Siglo XX en live qui viennent enrichir ma chronique. Je ne connais pas "Sigmund und Sein Freund" et trouver leurs enregistrements n'est apparemment pas chose aisée. Effectivement, sur ce blog-culture j'essaie de parler de ce que j'aime tout en sortant des sentiers battus, et préfère rendre homage à des artistes ou des œuvres dont les médias traditionnels ou le Net parlent peu, ou pas. Cordialement.

Anonyme a dit…

bonjour....belle page sur siglo ! toute une époque...qui a marqué toute une époque par sa liberté et création...je les ai vu me semble t'il en 89 à Bordeaux...a noter le chanteur a un bras handicapé....ct magique...même si g une préférence pour la période Antler...

Christian Larcheron a dit…

Bonjour. Encore un chanceux qui a eu le privilège de voir le groupe en concert ! Je vous envie... Et merci de la précision pour le chanteur (..."avec un bras handicapé"). Assez surprenante info, en effet.

Je crois que nous sommes beaucoup à regretter cette époque (et toutes celles riches en créations diverses). Tout cela comparé à notre présent actuel assez stérile... A bientôt sur mon blog.

Anonyme a dit…

Hello ! Belle madeleine et commentaires justes, bravo. Rendons à César la Production équilibrée, et irréprochable de ces somptueuses galettes : Monsieur Bruno Donini (qu'on retrouve sur moult autre productions PIAS) était aux manettes du son, et a su canaliser l'énergie singulière de ce groupe hors du commun.

Turbo Cowboy a dit…


Hello, chouette article. C'est rare de lire quelque chose sur Siglo XX en français. Ado, j'étais très très fan du groupe, j'étais très impressionné par leurs premiers disques sur Antler. Les 3 albums dont tu parles représentent la toute dernière partie de leur carrière. J'ai eu la chance de les voir à Genappe (en Belgique) lors de la tournée "Flowers For The Rebels", on était toute une bande de super fans de Siglo XX. Au rappel on a crié des noms de morceaux (genre "Art of War"), et ils ont été forcés de les jouer sans même les avoir répété. On les a rencontré après et bu des coups avec eux, super sympas. Je me souviens qu'on leur a posé 10.000 questions, genre "mais qui est Haydee ?". Le groupe cultivait tellement l'anonymat qu'on avait envie de savoir plein de choses sur eux. Je suis resté en contact par la suite avec Erik et Klaas, vraiment deux chouettes personnes. Erik bossait chez Straatlawaai productions (distribué par Antler), et m'envoyait les nouvelles sorties par la poste gratos. Super souvenirs :)

Christian Larcheron a dit…

A « Anonyme » : merci pour votre passage sympathique ici et pour vos précisions sur l’ingénieur du son qui a fait effectivement du bon boulot. Dans le livret de « Flowers for the rebels » seul est crédité Luc Tijtgat à la production. Il est aussi mentionné sur « Fear and desire», mais pas d'autres infos hélas. Bruno Donini est crédité dans le livret de « Under a purple sky » pour les 5 derniers titres de l'album. Tijtgat y apparaît pour les 5 premiers.

A « Turbo Cowboy » : merci pour votre passage sur le blog et pour vos précisions précieuses. Vous êtes un fan de la première heure, mais en tant que belge, vous étiez sans doute privilégié par rapport aux français car je pense que Siglo XX a surtout tourné dans son pays natal mais pas beaucoup en France. Pour ma part je les ai découverts vers 1987-88 avec « Flowers for the rebels », mais je ne les ai jamais vus en concert.

C’est désolant de constater qu’on ne trouve plus leurs disques actuellement (et je me félicite d’autant plus de les avoir gardés dans ma collection de CD). Il faudrait savoir qui détient les droits, et ce qu’on attend pour rééditer l’intégrale. Car je pense que ces disques sont très recherchés par un nombre non négligeable de gens (voir le succès de la réédition des Kas Product, groupe underground à priori plutôt confidentiel, ne touchant pas le « grand public », et pourtant : ventes énormes).

Anonyme a dit…

Bonjour, super article sur Siglo XX en effet, j'ai également eu la chance de les voir 2 fois en concert mais vers la fin de leurs trop courte carrière (87 et 88)
Le chanteur avait en effet un handicap dont je ne m'étais pas rendu compte en voyant le concert, c'est seulement en tendant un album à dédicacer que j'ai remarqué ce détail.
Que sont ils devenus ? A quand un comeback comme tant d'autres groupes de cette époque magique ?

Joël (Bruxelles)

Christian Larcheron a dit…

Merci du passage Joël. Encore un veinard qui a vu le groupe à l'époque !
A propos du comeback éventuel, je suis assez circonspect car je crois que ce type de retour concerne plutôt des groupes moins underground et plus "grand public". Mais sait-on jamais ?